mercredi 18 avril 2012

Mélancolie

        C'était l'avril de l'an 12 du vingt et unième siècle, le vent en bourrasque souffle fort et hurle dans la cheminée. Les gouttes de pluie denses s'écrasent contre les châssis de verre. Le vent si violent fait « refouler » la cheminée ; bien que le feu soit contenu et emprisonné dans l'insert une légère odeur acre, rappelant les temps anciens, diffuse subrepticement dans la maison. 
        Dalton, notre cairn des Highlands boude ; il voudrait que je l'amène faire le tour du quartier sinon du village ; oublieux des intempéries dès qu'il est rentré. Minime, après un bref tour dans les romarins du talus a regagné son rocking-chair près du radiateur du couloir « extérieur ». Nous avons appelé ainsi cet espace fermé à chaque bout par de grandes baies vitrées car à l'origine ce couloir ouvert faisait le passage entre la maison et les dépendances, garage, buanderie.
        Après un premier hiver il est apparu d'évidence, à chaque pluie et nous sommes dans un climat « atlantique » que l'eau pénétrait jusque dans la maison et le vent faisait de cette traversée une traversée héroïque ! Ainsi la deuxième année nous l'avons clos et un radiateur tempère cette sortie. L'hiver il sert de maison pour la chatte, de verrière pour les plantes : hortensia, camélia, citronnier, azalée. Le citronnier a 4 beaux citrons à maturité et est couvert de fleurs qui embaument de leur parfum insistant ce couloir.
        J'aime les hurlements du vent et la girouette est un peu affolée et désorientée. Pour pouvoir la regarder nous ne l'avons pas mise sur le toit mais sur un haut piquet devant la maison et ainsi ce coq magnifique nous ravit. 
      Je me rends compte que ma maison porte la marque de mon enfance. La girouette est de tradition et était sur le toit chez mes grands parents ; la cheminée et le vent faisaient partie intégrante de la ruralité, comme le roucoulement incessant des couples de tourterelles et tourtereaux aux temps des amours. Notre grande cuisine qui à la campagne représentait le lieu de vie dans lequel se retrouvaient à l'heure des repas ou à la veillée les anciens et les plus jeunes, dans un système intergénérationnel qui avait son charme pour les enfants mais aussi générait parfois des conflits avec les brus. Etre tous ensembles et en même temps ne pas supporter l'aliénation à l'autre, c'est une véritable contradiction qu'il faut s'évertuer à dépasser.
        En même temps toutes ces confidences , entre femmes » au coin du feu pendant que les hommes jouaient au dé ou au domino. Et nous les enfants avec toujours les oreilles à l'affut de quelques détails que l'on voulait nous cacher et auxquels en définitive nous n'aurions pas compris grand chose.
        Ah si, « la Marie » quelque peu délurée s'était fait faire un petit lors des gerbières et on avait du la marier à la va vite où à « la sauvette » comme disait ma grand-mère. C'était le grand scandale du village ; encore heureux que ce grand nigaud de Pierre l'ait épousée en juste noce ; un « bâtard » pas de ça chez moi avait dit le Grand- père. C'est bien toi, eh garçon ! Alors tu répares ! On ne rigolait pas en ce temps là, pas si reculée, ma génération ; juste celle d'avant la pilule....Ce fut quand même un très grand mariage, à l'église ; mademoiselle Marie, en robe blanche avec des fleurs d'oranger. C'était des enfants du village, un peu en avance ; même Monsieur le curé les avait absous et y était allé de sa petite larme. Ensuite, le grand repas à la ferme de Pierre. Une grande tablée, dehors sous les marronniers ; il n'y avait rien manqué. Le linge « chiffré » aux armes de la famille, les immenses soupières dentelées en Limoge ; Le Service, celui de la grand mère Amélie ; l'argenterie que l'on se transmettait de génération en génération, impeccable ne servant que pour les communions et les mariages. 
        Pas si sotte La Marie, disait au creux de l'oreille la voisine de Justine ; elle s'est pas trompée eh ! Un beau parti que ce Pierre ! Et ainsi les « petits coups «  de griffes amicaux animaient discrètement la tablée. 
        Puis ce fut la mémorable pièce-montée avec au sommet le couple de mariée en sucre glace ou nougatine; puis quelques chansons à boire, discrètes, pas de « paillardise » ; on avait de la tenue. C'est vrai, Amélie avait reçu quelques années d'éducation à l'Ecole Ménagère des Soeurs Bénédictines ; elle y avait appris les bonnes manières, la couture et surtout la musique ce qui lui permettait de briller tous les dimanches à la messe du matin car c'est elle qui jouait de l'harmonium et accompagnait les cantiques. 
        Ne croyez pas que je vous parle de temps ancestraux, seulement des années soixante que j'ai vécues comme pré-adolescente. Le grand « saut » culturel et la transformation du mode social se sont effectués à partir des années 1970, pas avant, en milieu rural. L'évolution des « mentalités » est très lent bien plus que les bonds technologiques et cette « ruralité » a survécu jusqu'aux années 1980. Elle avait ses avantages, par exemple l 'entraide mais aussi peu ouverte aux intrus ; « on sait pas d'où il vient celui là  »! c'est quand même sur le droit à la différence que l'évolution a été et est encore lente. Il rest des progrès à réaliser.
        Je ne suis pas une grande écrivaine, mais j'ai du plaisir à écrire ces lignes ; cela fait partie de ma mélancolie en ce que la mélancolie n'a pas d'objet en soi ; c'est un état duquel il faut sortir. La grand-mère d'Yves décédée dans sa 98 ième année avait une expression dont je reconnais le poids réel aujourd'hui. Lorsque nous évoquions sa vie, elle était née en 1889, disait pour mettre un terme à la discussion qu'elle devait penser vaine « ah! Temps passé n'est plus ». Comme c'est vrai.

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